Surtout quand le thème sert à dénoncer la fraude fiscale et les dérives financières d'un monde capitaliste. Autant dire que j'ai accepté avec enthousiasme cette commande de data-design pour un numéro spécial du "mook" XXI.
L'objectif était présenté comme un peu confidentiel et évènement : un collectif de journalistes internationaux allait sortir un dossier sur le thème de la fraude fiscale. Un pavé dans la marre. Ma mission consistait à réaliser les double-pages d'introduction pour contextualiser le contenu du numéro. Présenter des sommes astronomiques est un défi passionnant et j'ai trouvé le challenge assez motivant.
un sujet complexe
Mais j'ai rapidement déchanté sur le contexte de l'intervention. Sans savoir dire pourquoi j'ai senti une sorte de flottement dans la commande et les relations - toujours à distance - avec mon interlocuteur. En gros il me demandait de me mettre au travail sans avoir spécialement de sources ou d'éléments sur lesquels m'appuyer à part des sources complexes, étrangères et variées dont je ne savais pas spécialement extraire la substantifique - et explicite - moelle.J'ai donc un peu commencé dans le flou, en faisant des expérimentations assez générales avec les motifs de billets, en reprenant le graphisme du dollar américain, les euros, l'or... Le travail d'un illustrateur est distinct normalement de celui de journaliste, j'ai un moment cru que ce qui m'étais demandé tenait un peu des deux missions, ce qui me mettait assez mal à l'aise.



Il a fallu l'intervention dans le dossier d'une journaliste amie (une femme extraordinaire !) pour que le contenu soit clarifié et la commande plus explicite.
J'ai donc maquetté et illustré trois doubles,
Le première sur les sommes en jeu et les principaux pays pratiquant la fraude ou l'optimisation fiscale.
La seconde sur les mécaniques du blanchiment.
La troisième sur des équivalences qui donnent une proportion au fléau international.



J'ai pas mal galéré sur la seconde, les mécaniques - que j'ignorais - impliquent des formes administratives complexes, et trouver une forme illustrée pour représenter ce qu'est une "holding" par exemple m'a donné du fil à retordre.
Je ne pense pas être parvenu à donner une forme graphique satisfaisante à ces mécaniques mais j'ai essayé. Je crois d'ailleurs que si le sujet n'éveille pas spécialement l'intérêt du public (et je m'inclus dedans) c'est pour la simple raison qu'il est complexe à visualiser. En tous cas je suis content de m'être éloigné du cliché graphique de la plage paradisiaque pour représenter les "paradis fiscaux" qui donne un peu trop l'impression que ces pays sont des îles du Pacifique, certains de ces paradis se trouvant tout bêtement en Europe. L'image d'une grille dorée sur des nuages de pièces d'or - référence à Picsou et son accumulation d'or - m'a semblé plus correcte.




epic fail
J'en suis content même si on s'est rendu compte à la publication d'une faute importante dans le chiffre de la première page (10 millions de milliards à la place de 10 mille) mais bon.
J'ai attendu la sortie en kiosque du magazine pour relancer le paiement de la facture que j'avais envoyée quelques semaines auparavant.
Puis j'ai été contacté par un collectif de journalistes qui lançaient une action CONTRE le magazine XXI pour impayés.
J'ai appris à cette occasion que le média était en dépôt de bilan et avait cessé de payer un certain nombre de ses collaborateurs, une situation dont on s'était évidemment bien gardé de m'informer. Une situation surtout en contradiction flagrante avec les ambitions éthiques et salariales affichées par le titre.
défaut de paiement
En tant que petit illustrateur avec un boulot salarié et une petite ardoise de 1200€ je n'étais pas trop à plaindre par rapport aux correspondants étrangers ou aux journalistes pigistes réguliers dont le travail est beaucoup plus important et le montant bien plus élevé autant que vital.J'ai donc assisté aux démarches et négociations du collectif avec le repreneur de la revue.
Après plusieurs mois de tractations, le travail a été payé un tiers de sa valeur d'origine. J'ai donc reçu pour ce travail d'illustration l'équivalent de 400€, 100€ par double page d'illustrations. Un comble pour ce qu'il représentait.
Mais il ne faut pas non plus jeter l'opprobre sur le repreneur qui n'avait légalement aucune obligation de régler l'ardoise des anciens dirigeants du journal. C'était donc toujours mieux que le rien qui s'annonçait, en sachant qu'ils étaient quand même obligés de négocier les droits des contenus dont ils avaient récupéré les stocks s'ils voulaient pouvoir les écouler... D'ailleurs le fameux numéro est semble-t-il toujours en vente.


Rétrospectivement, je me suis dit que s'ils m'avaient contacté moi, obscur petit illustrateur de province pour ce prestigieux boulot, c'était aussi parce que j'étais moins informé de la situation du magazine, moins regardant aussi. Ou que tous leurs illustrateurs-rices réguliers avaient déjà une ardoise conséquente.
Je ne saurai probablement jamais.
Cheh.